De pierre et de terre

ou Des maisons enracinées et élevées

Angers, novembre 2008

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Carnet de notes de terrain (extraits), Zinit – septembre 2008

Chaque jour je vois les ânes et mules remonter des outres emplies du sable ramassé dans le lit de la rivière. Celui-ci est utilisé pour l’entretien des maisons : un mur à consolider, une terrasse/plafond à réparer ou à refaire, il leur faut parer à l’usure du vieillissement ou aux conséquences des intempéries. Je perçois combien la rivière est importante, indispensable, vitale pour l’eau quotidienne, et aussi comme source du sable grossier résultant des apports et brouillements du flot venu des montagnes. La construction traditionnelle est de loin celle qui domine et façonne le paysage de Zinit et des autres douars. Toutefois il y a eu depuis une dizaine d’années, l’apparition de maisons peintes, construites avec du ciment, des moellons et des fers à béton – matériaux modernes, pratiques et onéreux. Leurs propriétaires ont fait peindre les murs aux couleurs des régions du soleil : le rose saumon du sud marocain. Mais elles ne sont que quelques unités : quatre bâtisses sur une soixantaine de maison de pierre. Sont-elles le signe de la richesse de leurs habitants ? peut-être, et sûrement la marque d’une certaine réussite (sociale et/ou financière) qu’ils veulent exposer. En effet, quelques-uns ont fait fortune dans le commerce des tissus à Casablanca, Rabat ou Marrakech… Dans le village, chacun sait réparer les maisons mais Massine est celui qui fait le mieux. Ces jours-ci, aidé de son père qui lui a transmis ce savoir-faire séculaire et de 2 hommes du village, Massine construit au-dessus de l’école une grosse maison qui comprendra au moins 5 pièces. Après avoir préparé les fondations en ayant construit de solides points d’appui constitués de la roche qui structure le sol, Massine et ses compagnons ont commencé d’élever des murs de pierres, extraites sur place. Ces murs sont élevés à l’aplomb, les pierres sont jointes avec du sable et gravier mouillé. C’est ainsi que les pierres liées forment un bloc compact étanche. Ces murs sont d’une largeur de 60 à 70 cm. Les portes et fenêtres sont consolidées par des traverses de rondins de bois, remontés des abords de la rivière, ils permettent d’obtenir un linteau solide qui supportera le poids de l’élévation des murs. Cette technique des renforcements de rondins accolés, coulés dans le mortier, est aussi utilisée sur les seuils des ouvertures pour fenêtre. Ces trous de fenêtre sont de forme trapézoïdale, plus large à l’intérieur de la pièce, afin de capter/distribuer le maximum de lumière et donc apporter de la clarté dans ces pièces longues et étroites. Dans cette maison, comme dans les maisons anciennes, les pièces sont assez grandes, environ 5/6 mètres sur 2,5/3 mètres, chacune pourvue de 2 trous pour y placer, plus tard, de frêles fenêtres de bois. Le chantier s’organise à partir des murs d’enceinte dans lesquels s’imbriquent les murs des pièces. Cette manière de procéder fait apparaître peu à peu l’espace qui sera le patio, cœur de cette maison. Massine et son père montent les pierres une à une tandis que les deux autres hommes font le mortier de terre et d’eau. La base de la construction est faite de pierres, les murs en aval prennent appui sur un sol naturel pierreux, plus bas. Ils sont élevés jusqu’au sol d’un premier niveau qui sera le niveau d’implantation des 5 pièces de la maison. Ainsi les pièces du dessous seront des réserves (et peut-être celles des animaux ?) tandis que le niveau supérieur sera la partie occupée par les familles. Les pierres de construction ramassées aux abords ou plus loin à l’écart du village sont difficiles à trouver en grand nombre. Il faut les chercher, les ramener sur la mule. Ce travail est pénible. Et puis il faudra les hisser à 3 ou 4 mètres du sol, c’est pourquoi la suite de la construction est faite avec de la terre, prise sur place, mouillée et tassée, cette technique de la terre leur permet d’économiser les pierres, toujours difficiles à repérer et déplacer. Les 2 hommes aidant Massine font et transportent ce mortier. À partir d’une hauteur de 2,5 mètres environ, Massine et son père installent des planches de coffrage appuyées sur des bois ronds qui traversent latéralement le mur, tandis qu’un assemblage de bois et de cordage maintient les deux parties, intérieure et extérieure, du coffrage dans un écartement constant et parallèle formant l’épaisseur du mur en pisé. Un des hommes du chantier calle sur son épaule une outre de mortier de terre qu’il déverse dans ce coffrage haut de 60 cm et long de 2 mètres. Massine et son père sont debout dans ce coffrage, ils piétinent le mortier pour le presser, puis à l’aide d’un gros pilon de bois, ils le tassent plus fort encore. Ces coups de pilon résonnent en un bruit sec et sourd. À la verticale, dans un mouvement d’ensemble, Massine et son père lèvent leur pilon et le font retomber lourdement en y adjoignant toutes leurs forces. Ce geste est accompagné d’un cri sourd venu de l’intérieur de la cage thoracique de nos deux maçons. Ce geste est dur, on sent la force qu’il leur faut pendant des heures et des heures. Chaque jour, ils font une longueur de 10 à 12 mètres ; voilà ce mur en pisé sorti de leurs terres, fondu dans ce paysage qu’ils « humanisent » à leur manière, à leur image, trempés de leur sueur, depuis des siècles. En fin de journée, ils recouvrent d’un papier ou d’un plastique le dessus de ce mur. Faut-il le protéger d’une averse ou bien ne pas l’exposer trop au soleil ? La terre a ses caprices qu’ils connaissent bien ! La maison s’élève chaque jour un peu plus. À chaque lendemain, ils défont leur coffrage et le remontent. Les murs intérieurs sont élevés de la même manière, sans soubassement de pierre. Dans la maison en cours, les murs de terre seront de plusieurs hauteurs de coffrage, soit plus de 2 mètres. Déjà des bois sont prêts pour fabriquer les plafonds de chacune des pièces. Aussi est-il creusé à cet effet dans la partie haute des murs de terre quelques emplacements pour y placer les poutres bien écorcées et arrondies, elles seront les supports des roseaux accolés et soigneusement très serrés. Ils seront visibles et deviendront éléments de décoration à l’intérieur de cette pièce.

Plus loin, en bas du village, deux hommes font la terrasse d’une nouvelle pièce ; cette maison s’agrandit car les fils sont maintenant âgés (20 à 25 ans) et sans doute proches du moment où ils se marieront et devront abriter leur épouse. Munis d’une scie et d’un marteau, des hommes construisent soigneusement ce plafond avec de beaux roseaux qu’ils recouvrent d’un plastique puis de terre, tirée tout près. La terrasse est ainsi construite, ils réservent un trou (et une légère pente) pour l’écoulement des eaux de pluie, hors de l’enceinte de la maison. Afin de réduire l’érosion, des pierres plates, débordant dans le vide, sont placées au-dessus des murs d’enceinte de la pièce. Avec le temps, l’ensemble se tassera et fera une terrasse sur laquelle les familles aimeront parfois passer quelques heures à la tombée du jour, à parler, à observer de loin et de haut le village et la vallée ou bien à d’autres moments elle servira d’espace pour faire sécher les tapis ou exposer amendes et noix au soleil chaud. Cette technique traditionnelle est à chaque fois mise en œuvre. En moins de quatre jours ces deux hommes ont fini ce chantier qu’ils devront restaurer régulièrement dans les années à venir.

Dans plusieurs maisons, en septembre, les hommes font des travaux d’entretien, car il faut se protéger du mauvais temps qui pourrait bien venir en novembre et décembre prochains. Mohamed, le musicien, et son père charrient de grosses pierres de schiste avec leur mule. Mohamed veut construire deux nouvelles pièces car chez eux l’habitation ancienne devient trop petite, surtout depuis son mariage et la naissance récente de son enfant. L’extérieur de ces maisons se confond dans le paysage, il est fait des mêmes matériaux, de pierre et de terre. Il est de même couleur crème et grise. Cela est banal et discret. Le charme et le caractère esthétique seront surtout recherchés dans la décoration du patio, souvent de terre battue, ou parfois cimenté mais bien agrémenté de quelques plantations d’arbustes ou plantes qui serviront à parfumer/épicer les repas. Chaque pièce est aménagée de tapis et coussins colorés, les murs sont peints en blanc ou bleu ou couleur pastel. Dans les familles les plus aisées, un mur peut être le support d’une fresque, toujours inspirée de paysage d’eau paisible, bouillonnante, courant au milieu d’une nature luxuriante d’arbres et de fleurs. Parfois le plafond est l’objet d’une décoration particulière, colorée, qui vient masquer les roseaux. Il s’agit alors de peintures réalisées sur des planchettes structurant des formes de poutre entre lesquelles des panneaux sont peints dans le même style. Ces décorations sont très colorées et représentent des figures géométriques successives. Parfois j’y ai remarqué une main de Fatima, protection contre les esprits malfaisants, ou bien une théière ou une montre… inspiration naïve d’un peintre en mal de poésie et de bienveillance. Les couleurs dominantes sont le rouge, le jaune, le vert, le noir. Elles sont plutôt vives. L’intérieur de ces demeures fera la richesse et la fierté cachées de ses occupants.

Jean-Claude Thiery

Université d’Angers

02 41 69 95 32  ou  06 33 81 36 91

Courriel : agorajct@wanadoo.fr

ou    jean-claude.thiery@univ-angers.fr

 

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