Mariage : Dits, actes et enjeux coutumiers

ou  La parenté chez les Seksawa, une construction complexe 

Jean-Claude Thiery – Angers – 6 mai 2019

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Mariage & Parenté : Nous sommes face à un sujet complexe dont les multiples formes exigent de poursuivre la réflexion, de préciser les références, les influences et modalités. Un de ces sujets anthropologiques essentiels comme le sont la mort, la naissance, les croyances. Un enjeu très important car il met en mouvement nombre de comportements et d’actes, dont l’objet essentiel est la pérennité de cette communauté. Les Seksawa abritent sans nul doute, en la matière, des mystères que l’observateur tente de comprendre, jamais entièrement. Tout juste peut-il partager avec le lecteur ses ressentis et son questionnement.

Zinit, 27 mars 2019 – Carnet de notes de terrain (extrait)

 …Peu après avoir dépassé les dernières maisons du douar, je rencontre Aziz[1]. Sa buvette à thé avec jeux de Rounda et Dama, vit au ralenti, Hélas ! pense-t-il. Aussi, en ces jours bien calmes aux volets clos, il se promène vers la rivière ou sur la route goudronnée. Juste pour passer le temps, pour parler avec lui-même, pour croiser le chemin d’un autre «vagabond matinal», ou d’un voisin berger-cultivateur. Nous marchons ensemble, parlons de choses banales. Il y a peu à dire en ce moment. Les températures sont basses, presque personne au douar. La chaleur leur manque… Il y a beaucoup de place pour les silences. Trop. Il me parle néanmoins de mariage, de son mariage ! Seul sujet qui émerge. Iceberg des montagnes.

ANCRAGE & ENJEUX CULTUREL et FAMILIAL

Il est à l’aube de ses trente-trois ans. À son grand regret, aucun projet en ce sens ne voit le jour. Beaucoup de ses copains sont maintenant mariés, ont des enfants. Aujourd’hui il est sombre, sans horizon, comme un de ces jours de soleil froid, visage ridé. Ses rêves de jeune homme sont en butte à la réalité. La vie ne se déroule pas comme il l’avait imaginée : trop d’accros, trop d’impasses, trop d’indifférence, trop de solitude, trop de misère, trop de rêve, trop de cigarette, trop d’idées noires, trop de peine, trop de rien. Il cherche patiemment, ne « voit » aucune jeune fille, aucune famille avec laquelle un tel avenir serait envisageable. Il l’exprime ainsi : « Y a pas de fille ici (il dit aussi mariage). A Imin’tanout, oui ! Là-bas, c’est bon ! » Cette manière de dire évoque sans doute que si en ce moment il y avait au douar des mariages, il y aurait des occasions établies pour faire des « rencontres ». Car sans rassemblement, sans argent pour se déplacer, sans rien qui ne bouge au douar, trop de vide ! Aziz et les autres jeunes hommes, sont plongés dans la solitude d’une période intermédiaire de plusieurs mois, entre deux fêtes réunissant les familles du douar. Cela éloigne toute recherche d’une future épouse. Ils ont hâte que reviennent en mai et juin prochains le Ramadan et les Aïd à suivre. Je le sens très affecté par son sort. Impatient. Peut-être prêt à aller chercher ailleurs. Ses paroles et ses silences montrent son désarroi. Se marier est son défi majeur. Il donne à mi-voix des noms de jeunes filles du douar, « mais… la famille… ». Ici, dans la culture amazigh, le mariage n’est pas qu’une histoire de fille à approcher mais également de familles à convaincre, de preuves à montrer. Comme je l’ai déjà écrit, un mariage n’est pas seulement l’union contractée entre une fille et un garçon, c’est aussi l’alliance de deux clans familiaux et un accord dont le gain pour les familles sera réel, autant symbolique que sonnant et trébuchant.

La Rencontre et l’Accord sont les premières étapes qui engagent vers Mariage et Parenté. Mais rien ne va de soi, rien n’est spontané, rien n’est du ressort d’une volonté individuelle, tout est affaire de la communauté. La rencontre s’inscrit dans les manières de faire de cette communauté, tantôt dans les moments « flous » des activités quotidiennes, tantôt lors des fêtes et mariages fixés par le rythme du calendrier saisonnier et religieux. Habitants enracinés du Haut-Atlas, le clan familial attend impatiemment le retour au « bled » de la famille et le revenu de ceux émigrés en ville chargés de menus cadeaux, de nourriture, d’argent, de petits bonheurs. Chaque fête en est l’occasion. Aussi pour des raisons économiques (coût du déplacement des familles), la plupart des mariages sont organisés à des dates proches des fêtes religieuses musulmanes. Chacun a ce calendrier en tête, il impose les prévisions et préparatifs.

LA RENCONTRE

En ce mois de mars, ils sont bien loin les jours où garçons et filles s’observent à distance dans le but amusé et sérieux de séduire, d’être remarqué(e), d’amorcer la rencontre. Ce sont des situations brèves, des rituels quotidiens que j’ai observés plusieurs fois. D’une part les filles, par routine, habituellement occupées à couper l’herbe, à ramasser le bois, à chercher l’eau à la rivière. D’autre part, les garçons, par routine, naturellement en promenade, observateurs attentifs sur la route qui surplombe le douar ou dans les chemins traversant les cultures agricoles en lisière de rivière. Là est un espace éphémère du douar où les regards sont érigés en langage, où de bienheureuses occasions sont espérées mais jamais garanties pour une approche bucolique. Voilà un espace non sans interdits, non sans règles ni morale mais qui échappe fortement aux regards des familles. Ce sont des moments de rencontre habituels que personne au douar n’ignore.

À côté de ces quelques instants fugaces, il en est d’autres plus organisés où la famille, plus exactement la coutume, est à l’œuvre. Mais ceux-ci n’obéissent pas aux mêmes modalités selon qu’il s’agisse de la fille ou du garçon. Les filles sont « proposées » par leur famille. Ici et là, il se dit alors qu’une fille pourrait prochainement se marier. Elle le souhaite et sa famille est d’accord. Le père se déplaçant fréquemment dans la vallée est le messager de l’information. Garçons et familles des alentours sont attentifs. L’âge du mariage advenu, les filles et leurs parents savent que ces dernières devront se « montrer ». La fille, dès lors se présentera tête parée d’un joli foulard, afin d’être remarquée. Des pères accompagnés d’un jeune homme peuvent frapper à la porte pour répondre aux sollicitations, sans préjuger de la réponse… mais pour les filles, une autre modalité pour être vue, est de participer, lors d’une fête, à la danse dans le groupe des filles. Toutes les filles le savent et je constate qu’il en est certaines qui fuient l’exercice car elles en connaissent les finalités. Les garçons connaissent également l’éventuel dessein de ces danses, ils y sont souvent très attentifs. Chacun et chacune se mettant, à son niveau, dans le strict respect des coutumes et des mœurs, en quête de l’élu(e) qui assurera la descendance de la famille et la vitalité de la tribu.

Pour les garçons, la famille est «moins» active pour la recherche d’une épouse, sans toutefois en être indifférente. C’est bien elle qui donnera, au moment venu, son accord. Souvent ce sont les jeunes hommes eux-mêmes qui rechercheront l’élue, sous la bienveillance de leur famille. Mais la période actuelle n’est pas propice à faire des rencontres : peu de fêtes, donc pas d’occasion ou presque de se rendre à des assemblées festives, type hawach, mossem, fête de mariage ou fiançailles, ainsi donc les garçons doivent remettre à plus tard leurs recherches. En d’autres saisons, j’ai remarqué que le lendemain des mariages est un moment institué pour des rencontres amicales intéressées. Cette journée, vue comme une fête  en direction des jeunes gens, met en scène, dans un grand salon ou un patio, une réunion traditionnelle entre filles et garçons avec discussions, rires, thé, amandes, noix, maquillage, musiques, talount, danses. Dans leur belle djellaba, les garçons plus exubérants que les filles, et particulièrement ceux les plus en quête et souhaitant se montrer, prennent soin de se noircir les yeux aux éclats du khôl, à moins qu’ils en laissent la pose, par jeu, à une jeune fille, en échange de quelques dirhams. Ce temps permet de faire des rencontres autorisées. Garçons et filles attendent et espèrent que celles-ci seront des voies qui aboutiront à leur mariage, ou à défaut celui de leurs ami(e)s. Je comprends après-coup, pourquoi, pendant mes séjours, il m’a été dit (avec invitation) qu’il y aurait un mariage ici ou là, parfois loin, à 80km ou plus. M’y inviter est important et stratégique car mon acquiescement permettrait, à quelques hommes intéressés du douar, de profiter du 4X4 (à mes frais) pour s’y rendre. Ce sont de rares occasions, il ne faut surtout pas les rater. Je comprends qu’un tel enjeu culturel puisse prendre la forme d’une préoccupation collective.

La souffrance ressentie par Aziz, il y a quelques jours, relève, en fait, de plusieurs contraintes, peut-être même contradictoires. D’abord il ressent sans doute la pression qui pèse sur lui, car sans projet de mariage manifeste, il se met hors de la norme qui veut que chaque homme doit avoir une femme et des enfants, le plus vite possible, vivant avec lui dans la maison paternelle. D’autre part la tradition veut que le mariage se fasse quand la famille (et le futur époux) en possède les moyens matériel et financier. Cela n’est pas facile pour lui car sa famille assez pauvre contraindra sa future épouse à vivre chichement. Aussi pour apparaître avec de meilleurs atouts, Aziz a-t-il tenté de constituer une richesse en créant un commerce, cette buvette à thé et jeux, pour en tirer un revenu. Mais il ne gagnera pas assez d’argent pour faire vivre un clan familial grandissant. La réalité est rude, il doit se rendre à l’évidence. Cela compromet sa recherche d’une épouse, car des conditions de vie précaires peuvent devenir un obstacle à l’accord des parents de la jeune fille. Quelle famille est prête à donner sa fille pour qu’elle vive dès lors dans une famille si modeste ? Seules des familles aussi pauvres que celle de Aziz ou en difficulté (fille âgée non mariée, fille-mère, femme veuve, femme divorcée) consentiraient à laisser partir leur fille vers cette nouvelle vie « qui ne présage pas du bonheur ». Maintes discussions en leur sein dénotent qu’au moment du mariage des filles, l’enjeu franchement avoué est de trouver un mari (donc sa famille) possédant de l’argent, et d’avoir une vie matérielle supérieure à celle qui était la sienne. Il est des situations où l’accord est loin d’être acquis.

L’ACCORD

Et puis en ces régions reculées du Haut-Atlas, loin de la plaine, pour aborder la question d’un accord en vue d’un mariage, il ne faut jamais écarter le fort principe d’honneur, propre à cette culture. Ce principe a un coût élevé pour le jeune homme et les familles – rien ne va de soi, rien n’est spontané, rien n’est du ressort d’une volonté individuelle, tout est affaire de la communauté. Ce principe est la clé pour expliquer pourquoi il y a tant d’hésitations pour aboutir à la décision d’un mariage, c’est une longue succession d’accords et de désaccords : sur la dote, sur les conditions, sur les gages, sur les cadeaux, sur la réception des convives, etc. qui aboutit parfois à son renoncement. Aussi va-t-il de soi, pour eux, que nul doute ne doit apparaître sur la virginité de la jeune fille. Jusqu’aux derniers instants la décision est incertaine. L’alliance des familles est aussi importante que l’union des protagonistes. Car le maintien de cette culture nécessite un délicat et juste équilibre entre ses membres au moment des alliances. La concorde des familles est fondamentale pour la pérennité de la tribu. Ainsi implicitement le socle culturel est au cœur des préoccupations, jamais dissocié des enjeux [existentiel, pérenne, intégratif] nichés dans la partie immergée de l’iceberg. Voilà l’essentiel, largement inconscient, qui oriente les comportements et donne du signifiant aux conduites de chacun. Les jeunes garçons et filles le pressentent et agissent par « automatisme culturel ». Animés par une attitude profonde, héritée de leurs pairs, ils développent des comportements inscrits en eux, comme une disposition intériorisée, inconsciente, mise en mémoire, dans le substrat de la culture. Ce sont les habitus théorisés par Emile Durkheim[2] [1898] et par Pierre Bourdieu[3] [1984]. Ainsi mariage et parenté –pratiques sociales incorporées réinventées- émergent dans les règles traditionnelles, dans des formes immuables ou presque dont le sens factuel et profond est explicitement oublié depuis longtemps. Mais qu’importe ! Tous y tiennent fermement et les attendent, des pépites de joie dans les yeux. Dans la vie de cette tribu amazigh semble-t-il tranquille, il se cache des épreuves par lesquelles ces jeunes garçons et filles devront passer, des défis traditionnels qui les inscriront plus encore comme membres d’une communauté qui les a vu naître, leur confirmera leur identité et les protègera. C’est pourquoi le mariage et ses développements sont un acte plus communautaire que familial. Même si aujourd’hui, Aziz se sent faible, découragé pour des raisons qui habitent ses silences, il le perçoit par intuition comme un défi ; comme de nombreux jeunes hommes, il cherche à réunir tous les atouts pour que cela aboutisse. Aussi le garçon doit-il s’affirmer avec toutes ses richesses (sens pratique, force de travail, qualités d’accueil et de concorde, compétences, argent, moralité).

Cette culture puissamment solidaire se régale des actes  parachevés au su et au vu de tous, affirmés sur un ton expressif. Autour d’un verre de thé, ces hommes se complaisent dans les échanges de paroles. Ils ne font jamais l’économie de discussions pointilleuses, sans fin, usant la patience de leurs interlocuteurs face au flot d’arguments, forçant les uns et les autres à calculer, recalculer les gains et les pertes. Chacun devant faire voir que les coûts de ce mariage doivent être compensés par des avantages de bonne valeur. Le temps mis à forger cet accord est signe d’équité et de solidité. Le mariage est pour le clan familial un de ces moments où tout est connu. Tout le douar (ou les douars) est fier d’avoir ce clan familial en son sein. Cette famille en s’élargissant est assurée du soutien fraternel de la communauté. C’est pourquoi les mariages dans cette vallée sont de grandes fêtes où tous sont les bienvenus, personne n’en est écarté, pourvu qu’il vienne avec un ami.

INFLUENCES LOINTAINES…

Cette circonvolution sur certains aspects de la parenté dans ses formes traditionnelles ne peut pas faire l’impasse sur les influences contemporaines. Celles-ci sont multiples et je pense particulièrement à la télévision et au téléphone. Ils prennent une place quotidienne importante. Ce sont des médias qui pourraient influencer les procédures de rencontre. Dans un monde où les communications et leurs objets se développent à vive allure, où les ondes et antennes arrosent abondamment ces vallées, où parabole, téléphone et ordinateur apparaissent dans de nombreuses maisons, mais où la curiosité de ce «peuple» a toujours été motrice de développement, que de perturbations rapides ! De celles qui, pour certains et certaines, changent la donne de la recherche du conjoint, de l’élargissement du clan familial et de l’unité de la communauté. Aujourd’hui où les expériences, les valeurs, les images, les récits circulent à la vitesse de la lumière, cette modernité émergente augure de nouvelles questions et porte de nouveaux problèmes… Un défi à la pérennité ! Une défiance à la concorde ! Une nouvelle contrainte exogène !  Mondialisation, anomie et individualisme seraient-ils à l’œuvre ? Trop tôt pour le dire mais notre attention doit rester éveillée. Déjà est-il possible d’observer l’arrivée d’autres modèles de parenté venus d’ailleurs. Notamment pour certains, le modèle du mariage à « l’occidental » et outre-Atlantique, c’est-à-dire d’un garçon et d’une fille qui se choisissent sans la pression et l’entremise des parents ou de la famille et plus généralement, semble-t-il, hors de la pression de la communauté. Cette image est véhiculée par les émissions et films de télévision (indien, européen, égyptien, américain), nourries largement d’émotions à la manière d’un conte de fée. Ce phénomène est renforcé par l’accès libre et individuel, facile, aux réseaux sociaux et sites de discussions sur internet, désormais fortement usités. Itto, une jeune fille, avec qui parfois je discute, me dit, il y a plusieurs mois, avoir trouvé un jeune homme qui « veut bien d’elle », mais il est en Allemagne. Ses propos laissent à penser que cette rencontre pourrait s’acheminer vers un mariage. Elle est ravie de cette opportunité et en est toutefois étonnée. Ainsi pense-t-elle, hors des contraintes traditionnelles, dessiner son avenir. Cette manière de faire, sans précédent, obéit à son libre-arbitre. Personne, ni ses parents, ni ses frères et sœurs, ni ses oncles, tantes ou grands-parents, ni ses amies ne l’accompagne ou la conseille dans ce nomadisme prénuptial. Dans sa culture où la pudeur est une manière d’être, et où il est ordinaire que tout se sache, l’équilibre est ténu. Les conversations de messagerie, sans limite,  sur les réseaux présentent un aspect surréaliste, non sans risque, face au libre-arbitre, comme règle de comportement, autrement dit de réserve ou de retenue, transmises par les valeurs de l’éducation. Chacun faisant prévaloir maladroitement et sommairement des qualités déclaratives de séduction, en partie illusoires. C’est une escapade maillée d’embûches car quand bien même la relation s’engagerait, c’est sans compter les difficultés administratives à venir : passeport, visa, frais de transport, etc. Itto s’en amuse, je pense que c’est un jeu avec son téléphone, un fétu de paille auquel tout le monde croit un instant dans son entourage tellement la promesse de partir avec un homme riche et bon musulman est proche, à portée de clic. Elle entraîne dans les méandres de ses rêves tous ses proches. La pauvreté associée au manque de mise en garde de ces populations et au système culturel fortement perturbé rend certains vulnérables, jusqu’au moment où ils/ elles réalisent que ce n’est qu’un film, un mirage, un conte de fée ou de princesse, de femme moderne qui n’existe que dans le poste de télévision ou sur un téléphone portable. Celui qui vomit les misères d’une détresse en creux à l’autre bout du monde. Maudite parabole ! Maudit internet ! Maudit téléphone qui sont venus répandre leurs douleurs insidieuses dans une communauté (et sans doute ailleurs ?) qui ne les demandait pas. Le paradoxe d’un mariage libéré des pressions familiales traditionnelles chez les Seksawa ne peut s’entendre qu’à la condition que des habitus culturels se dissolvent. Il va s’en dire que je n’y crois pas. Je n’en ai aucun exemple depuis le début de mes travaux (2002). Eventuellement quelques essais mais qui ont pris fin très rapidement. Les récits de Fatima, Icham ou Youness nous en donnent des exemples : mariage avec européen.ne ou autre suivi de séparation puis remariage avec fille âgée de la vallée avec reprise en main par le père – Avalanche de déboires conjugaux ! Cycle sans fin de douleurs ! Dérives de malheurs ! Leur communauté les protège aussi faut-il que les liens ne soient pas brouillés, fragilisés, rompus. La mondialisation vient bousculer les repères traditionnels de certain.nes. Parfois n’entre-t-elle pas en conflit avec la socialisation, propre à leur culture ? Garçons et filles sont façonnés à certains rôles fortement séparés  tenus par les uns et les autres, sont préparés à un statut différent attaché à chacun et chacune, sont éduqués à un certain type de relations de dépendance… Tant de choses qui n’ont rien d’universel. Certes est-il normal que l’éducation et la culture génèrent des attentes, une certaine idée du bonheur, un sens à sa vie, des envies de connaitre le monde, des rêves aussi… Mais trouver un(e) époux.se d’ailleurs, d’Europe ou d’outre-Atlantique, comme celui/celle du téléviseur du salon – appareil merveilleux et illusoire de la mixité culturelle – c’est peut-être trouver une situation qui ne sera pas facile à vivre et qui court le risque d’imploser rapidement, à moins que chacun et chacune aient eu les moyens de mettre à distance sa culture. Je ne dis pas que de tels changements ne soient pas possibles mais un long et lent travail d’acculturation devrait alors s’engager. « Est-ce souhaitable ? » est la question déontologique et humaniste qui se pose à l’ethnologue. Quelles leçons tirer de tous les colonialismes, anciens et actuels ? Par ailleurs, ne convient-il pas de s’interroger sur les effets de cette représention de la parenté venue par les ondes. Qu’adviendra-t-il de cette communauté si, le « mariage à portée de clic », ce mariage avec les territoires lointains, fait fi de ces interminables discussions pour trouver un accord  et partant l’unité de la communauté ? Quel serait dès lors le rôle des parents et du douar dans cette perspective individualiste ?

ooOoo

Ce texte dresse quelques constats sur les pratiques sociales actuelles autour du mariage et ses fondements culturels – événement doté d’une forte valeur existentielle – Il amorce quelques interrogations sur leur devenir dans les sinuosités des temps modernes. Les Seksawa appartiennent au peuple amazigh qui s’est maintenu face aux bouleversements de l’Histoire. Les mariages en ont été l’ossature. Ils signent chaque fois la confirmation de son homogénéité car la communauté recherche méticuleusement les relations apaisées propices à son maintien. Ainsi Concorde et Pérennité se trouvent renforcées à chacun de ces mariages. Depuis longtemps, c’est de cette institution que la culture amazigh des Seksawa tient sa force et ses valeurs.

Jean-Claude Thiery

Université d’Angers

02 41 69 95 32  ou  06 33 81 36 91

Courriel : agorajct@wanadoo.fr

ou    jean-claude.thiery@univ-angers.fr

[1] Afin d’assurer l’anonymat, dans ce texte les noms des personnes ont été transformés.
[2] « …manière d’être au monde, d’une attitude fondamentale à la fois morale et sociale, et non seulement de connaissances particulières …pas seulement formation de la raison, mais « formation intégrale de l’homme ». La culture est donc un habitus comme attitude mentale intériorisée et naturalisée, une forme génératrice d’actes particuliers. Ce n’est pas simplement une « mentalité » ou un esprit du temps, mais une affinité profonde entre les personnes. »
[3] « …(du) collectif () déposé en chaque individu sous forme de dispositions durables, comme les structures mentales » « …système de schèmes qui orientent tous les choix »

 

 

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